FIL MUSICAL

 

FRANÇOISE CHAFFIAUD

« le fil musical de mes émotions »

 

Charles Baudelaire

« La musique souvent me prend comme une mer,
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile… »

 

Claude Achille Debussy

« N’écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et nous raconte les histoires du monde. »

Johann Sebastian Bach

Un siècle après la mort de Jean-Sébastien Bach, Brahms déclarait : « Avec ce vieux Bach, on a toujours des surprises et on apprend toujours quelque chose de nouveau. »
Ce démiurge de la composition musicale dépasse les conformismes esthétiques de l’époque.
La rigueur de son écriture recèle une grande liberté combinatoire des moyens mis en œuvre : une ligne mélodique enchâsse un dessin polyphonique sous-jacent, les voix se croisent librement en dissonances inattendues. Valeurs longues, accents mélodiques, groupes de notes marquent le rythme, se répondent sur toute l’étendue du contrepoint.
Il façonne ses œuvres tel un architecte. Dans un heureux équilibre de proportions, contre-points, mélodies, harmonies et rythmes s’imbriquent avec élégance, contribuant à l’intensité dramatique de l’ensemble.
De son vivant, il lui suffit de regarder une seule fois la forme de la voûte de l’Opéra de Berlin récemment terminé pour déceler l’existence d’un phénomène acoustique inhérent à l’architecture de ce monument.
Cette science extrême et sa prodigieuse invention musicale aboutissent à une abstraction instrumentale. Les partitions dépassent les potentialités de l’instrument auquel elles étaient destinées et conviennent à l’usage du piano moderne.
Paul Valéry disait : « Le poète se consacre et se consume à définir et à construire un langage dans le langage. »
La musique de Jean-Sébastien Bach devient langage, poésie hors du temps ; elle atteint une dimension universelle.
Mais son don d’improvisation, le dynamisme de son inspiration créatrice allient spiritualité et coloration humaine.
N’oublions pas que les Concertos brandebourgeois se jouaient dans les tavernes au XVIIIème siècle
Son intense vie intérieure de croyant ne l’éloignait pas du monde terrestre. Il en dominait, serein, les vicissitudes.
Il concevait son travail avec humilité. Recopier les œuvres de compositeurs de moindre talent ne le rebutait pas : c’était de la musique.
Jean-Sébastien Bach disait aux apprentis musiciens : « Chaque partie est une personne qui parle : défense de l’interrompre avant qu’elle n’ait tout dit de ce qu’elle avait à dire ; défense aussi de la laisser parler pour ne rien dire. »
Ce conseil donné pour l’écriture des fugues témoigne de sa modestie et de sa générosité créatrice.
En présence de tant d’humanité, l’interprète ne peut que se livrer à une humble lecture de ces partitions défiant le temps.


Marie-Christine Semat-Jannot, musicologue

Franz Schubert

En 1827 et 1828, années de compositions des œuvres de cet enregistrement, dans Vienne où triomphent l’opéra de Rossini et la virtuosité de Paganini, Schubert dédicace ainsi un Trio qui sera le dernier composé : « A personne, sauf à ceux qui y prendront plaisir. »
A l’inverse de ces deux compositeurs, Schubert nous transporte dans un monde clos où l’extrême précision du langage musical –harmonique, rythmique et dynamique– dépasse la communication verbale, outrepasse les 600 textes poétiques qu’il a transformés en lieder et métamorphose les sentiments en émotions dans la plus grande sobriété. « Ce qui est en moi, je le donne tel quel, un point, c’est tout. » reconnaissait-il.
Dans la sonate en si b Majeur, l’écriture épouse au plus près le vécu émotionnel du compositeur, y déambule et l’explore comme un territoire étranger à lui-même, tel le lied Der Wanderer.

Les thèmes musicaux, courts, aussi vite énoncés qu’abandonnés, se répètent sur un mode obsédant, variant subrepticement par des détails parfois infimes. Anticiperait-il le courant de la musique répétitive ? Les rythmes contrastés, la fréquence des modulations, souvent très proches voire enharmoniques, parfois inattendues, surprenantes, traduisent la labilité des émotions. Se succèdent : passages hymniques et contemplatifs, sursauts violents, frémissements sombres, nocturnes, élans de tendresse fraternelle. Sehnsucht ! Nostalgie ! Surgissent ça et là quelques traces mémorielles d’un paradis perdu… Sensations de vie et de mort s’entrelacent à l’instar du lied du Roi des Aulnes, Erlkönig composé à 18 ans.
Schubert convenait que ses œuvres s’ébauchaient à partir de sa connaissance de la musique et de celle de sa douleur.
Ces compositions rappellent l’épitaphe que rédigea son ami, le talentueux poète autrichien Franz Grillparzer : « La musique n’a pas enterré ici une riche possession mais des espoirs bien plus beaux encore. »
Schubert fit chanter la poésie et parler la musique.

Dans la Sonate en si b, il atteint l’ineffable.

Marie-Christine Semat-Jannot, musicologue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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